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HAUTBOIS ET PLANCHER PELVIEN

Hautboïste depuis 50 ans, dont 40 ans en tant que musicienne professionnelle, je fais partie des premières femmes en France qui ont joué de cet instrument en orchestre, et qui l’ont enseigné. À travers mon expérience professionnelle, j’ai pu ressentir et étudier sur une longue période les effets de la pratique intensive du hautbois dans un corps de femme.

Tout au long de ces années, en échangeant avec des Hautboïstes, des instrumentistes à vent, et des chanteurs, j’ai compris que de nombreuses personnes se posaient des questions à ce sujet, sans trop oser en parler, ni savoir où trouver des réponses.

Je vais donc vous soumettre un certain nombre d’éléments, fruits de mon expérience personnelle, en espérant qu’ils pourront vous être utiles. Ce ne sont pas des recettes toutes faites à appliquer, mais plutôt des propositions qui vous permettront d’aller ressentir, tester différentes manières de jouer, afin que vous puissiez faire votre choix. D’autres que moi trouveront sans doute d’autres possibilités.

Je pense qu’il serait bénéfique d’intégrer ces données dans l’apprentissage de tous les instruments à vent, comme cela se fait fréquemment pour le chant, et ce le plus tôt possible. En effet, une bonne utilisation du plancher pelvien, chez les instrumentistes à vent et les chanteurs, favorise la qualité du son, sa puissance et sa stabilité.

Par ailleurs je pratique et enseigne le Yoga depuis de nombreuses années. Celui-ci propose des outils efficaces pour se protéger des surpressions lors d’exercices respiratoires spécifiques, afin d’éviter les effets indésirables que ceux-ci peuvent occasionner, notamment au niveau du périnée, et/ou de le renforcer. (Ces outils font partie de ce que le yoga appelle bandha et mudra.)

À la lecture de deux livres (Le périnée féminin et l’accouchement et Respiration, anatomie, geste respiratoire, de Blandine-Calais-Germain), j’ai pris conscience de l’incidence que pouvait avoir sur le périnée, la vitesse d’air envoyée dans un hautbois. Cela m’a conduit à chercher des moyens pour compenser cette poussée des viscères par le diaphragme vers le bas, qui viennent alors appuyer sur le plancher pelvien. Avec le temps, cela peut provoquer chez les femmes des prolapsus, chez les hommes une compression de la prostate, et pour les deux sexes, des hémorroïdes et/ou des hernies.

D’autres lectures, notamment Périnée, arrêtons le massacre ! de Bernadette de Gasquet, ainsi que divers stages de formations, m’ont permis de mieux comprendre comment utiliser ces outils (bandha et mudra), pour se protéger lorsqu’on pratique assidûment le hautbois.

Un historique pour commencer

1) Les débuts de l’apprentissage du hautbois.

Lorsque j’ai appris le hautbois (en 1970) mon professeur me demandait d’inspirer en gonflant le ventre, avant d’expirer dans mon instrument. En inspirant ainsi, le diaphragme descend vers le bas, et pousse sous lui le contenu viscéral (qui est incompressible) vers le bas et l’avant. Cette poussée fait bomber le ventre à l’avant, mais le périnée en reçoit également une partie. Certains Hautboïstes gardent même cette poussée du diaphragme vers le bas en expirant, avec un ventre qui reste poussé vers l’avant. Cela permet en effet d’augmenter la durée et la tenue du son en jouant avec le retour élastique des poumons. Il y a également ainsi moins de pression sous la glotte, mais cela en rajoute sur le plancher pelvien.

Par ailleurs, le hautbois demande beaucoup de vitesse d’air pour soutenir correctement le son. Cette vitesse d’air est obtenue grâce à l’utilisation des muscles abdominaux, notamment du muscle transverse. Ce muscle abdominal en se contractant mincit la taille, comme si on la resserrait avec une ceinture, mais cette action renvoie également de la pression vers le bas, et donc sur le périnée.

Cette façon de jouer amène trop de pression sur le plancher pelvien, surtout lorsqu’elle est utilisée régulièrement, et peut provoquer comme je l’ai déjà dit plus haut : prolapsus, compression de la prostate, hernies et hémorroïdes.

En jouant de cette manière, il est néanmoins possible de limiter les dégâts dus à la pression sur le périnée. La première chose à faire est de ressentir cette poussée sur le plancher pelvien. Ensuite de préparer le périnée à cette poussée par des exercices de renforcement en dehors du jeu instrumental, mais également en pratiquant son instrument. Ainsi pour jouer avec le diaphragme maintenu en position basse, je recommanderais alors d’ être capable de faire une contraction remontante des muscles et sphincters du périnée sur l’expiration, alors que l’abdomen lui reste gonflé. (C’est utilisé dans certaines techniques de chant.) Cela demande de l’entraînement. (Toutefois, avec la pression nécessaire au jeu du hautbois, c’est pratiquement impossible à tenir.)

2) Les modifications qui sont intervenues avec le temps dans ma façon de jouer.

a) L’ouverture des côtes

Dans la tradition Indienne, le buste, le bassin, et la tête, sont représentés symboliquement comme une jarre. Le plancher pelvien en est la base, la cage thoracique forme le haut de cette jarre, le cou dessine son col, et le dessus du crâne (la fontanelle) la partie ouverte qui permet de recevoir et de donner de l’eau.

L’anatomie nous apprend – je décris cela d’une façon très simplifiée –, que le contenu de cette jarre, entre la glotte et le périnée, forme un tout dont les éléments adhérent les uns aux autres par le biais de membranes dites séreuses. Cette ensemble est suspendu à la cage thoracique, dont les mouvements d’ouverture et de fermeture influent sur tout son contenu, du périnée à la glotte. Au milieu de ce bloc, le diaphragme adhère aux poumons en haut et au contenu viscéral en bas.

Il est donc possible de moduler, d’alléger le jeu des pressions sur le périnée, grâce à l’ouverture de la cage thoracique, puisqu’en s’écartant elle fait remonter vers le haut tous les viscères qui adhérent les uns aux autres.

Après avoir compris cela, j’ai modifié ma façon de respirer en jouant du hautbois. J’ai remonté un peu ma respiration en utilisant l’ouverture des basses côtes pour l’inspiration, et en gardant cette ouverture lors de l’expiration dans la mesure du possible.(Cette ouverture des basses côtes est modérée, elle ne consiste pas à ouvrir les basses côtes au maximum. Il faut se sentir à l’aise). Cela permet de modérer le retour élastique des poumons, d’avoir ainsi de la longueur de son, et d’amener moins de pression sur le périnée. (Le fait de maintenir la cage thoracique ouverte indépendamment du cycle respiratoire, est une technique qui peut demander de l’entraînement.)

Je vous présente deux méthodes pour ouvrir la cage thoracique. Vous pouvez les essayer toutes les deux et choisir celle qui vous convient le mieux :

1) Dans la première, le sommet du diaphragme (appelé centre phrénique) devient le point fixe. Je ne le laisse pas descendre grâce à une légère contraction des abdominaux hauts qui empêchent le ventre de gonfler. Le diaphragme vient alors écarter les basses côtes sur lesquelles il s’attache, en les levant par l’action de ses fibres musculaires. On doit sentir que cette action d’écartement de la base de la cage thoracique vient de l’intérieur. Le diaphragme devient un pousseur des côtes. Néanmoins dans ce scénario, il reste une part de poussée sur l’abdomen, et donc sur le périnée, mais beaucoup moins forte.

Si vous utilisez cette première méthode, je vous conseille d’y associer un travail du plancher pelvien. Pour cela, pratiquez dans un premier temps des exercices de renforcement du périnée adéquats, en-dehors du jeu, avant de les intégrer à la pratique instrumentale lorsqu’ils seront acquis. Sur chaque respiration, il s’agit d’installer une contraction remontante du plancher pelvien en fin d’inspiration, tout en la conservant sur l’expiration. Prenez bien soin de relâcher cette contraction en fin d’expiration, et de conserver ce relâchement pendant l’inspiration suivante. (Placer la contraction remontante du plancher pelvien juste avant d’expirer est plus aisée que de la placer en début d’expiration.) Ne vous sentez pas obligé de le faire sur toutes vos respirations. Souvent les inspirations sont trop rapides pour avoir le temps de relâcher quoi que ce soit. Adaptez à votre jeu ces préconisations)

2) Dans la deuxième technique, le mouvement d’ouverture des côtes se situe un peu plus haut, et il est plus ample. (Il ne fait pas appel aux abdominaux pour empêcher le ventre de se gonfler.) Il est possible de sentir que cette action d’ouverture latérale des côtes est provoquée par deux muscles qui enserrent la cage thoracique, du bord interne des deux omoplates jusqu’aux cotés du thorax ; ce sont les deux grands dentelés. Ces muscles sont entre autres des muscles inspirateurs; ils permettent d’ouvrir les côtes latéralement. Au moment de l’inspiration lorsqu’ils entrent en action, les deux omoplates s’éloignent l’une de l’autre. Dans ce scénario, la masse viscérale n’appuie pas sur le périnée puisqu’elle remonte. L’utilisation du périnée, que je vous recommande, est ainsi facilitée. (Rappel : contraction remontante juste avant d’expirer et sur l’expiration, suivi d’un relâchement total et d’une dilatation juste avant d’inspirer et pendant l’inspiration, en adaptant au jeu de manière à se sentir à l’aise.)

Personnellement je ne pratique pas ces contractions remontantes pendant tout le jeu instrumental, mais seulement lorsque j’y pense et que je suis bien avec. Si plus jeune j’avais pratiqué ce mode de jeu, je l’aurais sans doute mieux assimilé aujourd’hui, et il serait peut-être devenu un automatisme.

En dehors de leur aspect préventif, ces deux stratégies qui consistent à jouer avec les côtes ouvertes, favorisent la longueur de tenue et l’égalité de son. Elles modèrent aussi la pression sous glottique.

(Des traités anciens, destinés à l’apprentissage du hautbois recommandent d’ailleurs cette manière de jouer en inspirant au niveau des côtes et non pas du ventre.)*

Trois bémols pour ceux qui choisissent d’adopter une respiration un peu plus haute :

1) En remontant sa respiration, si on n’y prend pas garde, il est facile de perdre son ancrage bas (centre de gravité et points d’appuis). Il suffit alors d’en prendre conscience, et de retrouver ses bases.

2) Attention à ne pas laisser toujours les côtes en position ouverte, vous risquez de les voir se rigidifier. Pour garder leur mobilité, je vous conseille de pratiquer souvent une contre posture : expirez en fermant complètement les côtes en-dehors du jeu instrumental. (Le fait d’avoir des côtes mobiles aussi bien en ouverture qu’en fermeture est bénéfique pour la santé en général.) Attention également à ne pas trop vouloir ouvrir vos basses côtes en jouant. Il n’est pas nécessaire de les ouvrir au maximum.

3) Le fait de trop remonter la respiration en jouant peut parfois amener des tensions au niveau des muscles du cou. Il faut donc veiller à ne pas trop remonter sa respiration, elle se situe bien en bas de la cage thoracique. Les épaules elles, ne se soulèvent pas au moment de l’inspiration. Le corps reste bien vertical, avec un bon placement du cou : votre tête ne doit surtout pas être projetée en avant.

b) Les abdominaux

Un autre élément, l’utilisation des abdominaux, joue un rôle important sur le jeu des pressions à l’intérieur de « la jarre ».

Si en plus de l’ouverture de la cage thoracique, à la suite de la contraction remontante du périnée on ajoute celle des abdominaux, notamment celle des abdominaux bas, la protection du périnée se trouve renforcée. D’autre part la qualité du son en bénéficie.

En fin d’inspiration (avec les côtes ouvertes), les abdominaux travaillent en coordination avec le périnée de la manière suivante : Contraction remontante des sphincters et muscles du périnée (que l’on maintient le temps de l’expiration), suivi d’une contraction remontante des abdominaux dans l’ordre suivant : les abdominaux bas qui s’attachent sur le pubis et qui sont très importants à trouver, puis les abdominaux qui se situent plus haut. A la fin de l’expiration, périnée et abdominaux sont relâchés totalement à chaque fois que c’est possible.

(Il est très important de ne pas garder toujours le périnée en mode contracté sous peine de voir sa musculature devenir atone. Aussi, pensez bien à le laisser se relâcher et se dilater jusqu’à la fin de l’inspiration, avant de reprendre un nouveau cycle.)

Ainsi, en utilisant l’ouverture des côtes et la contraction remontante des abdominaux initiée par le périnée, vous protégerez ce dernier et le renforcerez.

* Les anciens traités d’apprentissage du hautbois que j’ai pu consulter ne parlent pas des pressions sur le plancher pelvien. Certains par contre expliquent comment respirer. 

Au XVIIIème siècle, dans la véritable manière d’apprendre à jouer en perfection du hautbois, de la flûte ou du flageolet, Freillon Poncein, donne quelques indications sur la position du hautboïste, mais ne parle pas du placement de la respiration, ni du jeu des pressions.

Au XIXème siècle, dans la méthode de hautbois ordinaire et système Boehm sur hautbois à 9 ou 10 clés, V Chalon nous dit que «  l’aspiration doit s’effectuer surtout par la base de la poitrine, pas par le haut. Les épaules ne se soulèvent pas » et, « il faut éviter de gonfler le ventre ».

Au XXème siècle dans sa  Méthode de hautbois, Pierre Cruchon recommande l’utilisation de la respiration thoracique et non pas abdominale.

En conclusion

Il est possible de jouer sur la pression entre glotte et périnée de beaucoup de manières différentes:

1) En modifiant la position du diaphragme (position basse ou haute).

2) En ouvrant ou fermant la cage thoracique.

3) En jouant sur les possibilités de contraction des abdominaux.

4) Et bien sûr, en jouant sur la position du corps. (Il est déconseillé de jouer du hautbois avec la tête en bas et les pieds en l’air!)

Il n’y a pas de solution idéale pour se protéger des surpressions que subissent les instrumentistes à vent, de même que les chanteurs. Il est donc intéressant de développer une perception interne de ce que vous faites subir à votre corps, afin de pouvoir choisir ce qui lui convient le mieux. (Qui veut aller loin – ou longtemps –, ménage sa monture.)

Petit rappel des moyens à utiliser :

1) Ouverture des côtes dissociée du cycle inspiration/expiration.

2) Renforcement des sphincters et des muscles du périnée.

3) Sentir l’incidence de la position du diaphragme (haute ou basse) sur la poussée exercée sur le plancher pelvien.

4) Maîtriser les différents modes d’utilisation des abdominaux.

(Pour ma part, je vous conseille leur contraction remontante, mais il existe d’autres façons de s’en servir pour émettre des sons )

Afin que la contraction remontante des muscles abdominaux soit efficace, il est important de commencer par la contraction des abdominaux les plus bas ; ce qui peut demander un travail préliminaire pour bien les sentir, et ainsi arriver à contrôler leurs contractions. (Cela acquis, veillez bien à ne pas perdre la contraction remontante du périnée – qui initie le mouvement –, suivie de celle des abdominaux.)

Dans un premier temps, je vous conseille de travailler ces quatre éléments en dehors du jeu instrumental. Une fois maîtrisés, vous pourrez les intégrer au jeu ; et alors ce sera à vous de choisir ce qui vous convient le mieux.

Ou trouver des exercices ?

Je ne saurais trop vous recommander la lecture des ouvrages de Blandine-Calais-Germain. Notamment, Le périnée féminin et l’accouchement qui propose beaucoup d’exercices de renforcement pour le périnée.

Vous pouvez également travailler les bandha et mudra qu’on utilise en yoga. (Voir ci-dessous)

Je vous conseille de les pratiquer avec une personne qui les maîtrise. Ils ne sont pas anodins, et ils doivent être amenés progressivement.

Quelques exercices de yoga pour travailler les contractions remontantes du périnée.

Mula bandha : Contractez le sphincter de l’anus sur toute sa longueur. (Il fait 2 à 3 centimètres.) Maintenez cette contraction remontante, et à sa suite continuez à faire remonter les muscles du périnée encore plus hauts à l’intérieur du petit bassin : Imaginez à la suite du sphincter anal, un bol musculaire qui remonte les viscères du petit bassin (vessie, organes génitaux et rectum). C’est votre diaphragme pelvien. Maintenez environ 6 secondes l’effort musculaire, et relâchez totalement – au moins 6 secondes. Répétez cette opération plusieurs fois ; au début quelques fois, puis au fur et à mesure que vous vous musclerez, augmentez le nombre des contractions remontantes.

Sahajali mudra : Resserrez la musculature vaginale en allant vers le haut, comme si vous faisiez remonter une perle jusqu’au col de l’utérus. Maintenez-y la perle pendant environ 6 secondes puis relâchez totalement. (Idem : répétez cette opération comme ci-dessus.)

Pour le périnée antérieur : Contraction de l’urètre, comme si vous vous reteniez de faire pipi. Maintenez environ 6 secondes, puis relâchez.

(En règle générale, pensez à bien alterner les contractions et les relâchements.)

Une constatation amusante : Observez les muscles de vos pieds lorsque vous ferez travailler votre périnée. Il y a fort à parier qu’ils seront contractés, ainsi que vos mâchoires. Détendez les…

Un exercice spécifique du yoga qui peut être utilisé pour apprendre à bien sentir et contrôler l’ouverture des côtes.

Uddyiana bandha : C’est une fausse inspiration qui ouvre la cage thoracique, alors que les poumons sont vides. (Je vous conseille vivement d’apprendre cette technique avec un enseignant de yoga (sérieux), qui connaît les contre-indications et qui en tient compte. (Notamment si pour vous, l’apnée poumon vide n’est pas confortable, et que votre cœur s’emballe.)

Maintenant, c’est à vous de jouer.

Marie-Christine Cabantous-Piguet

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